Discours de Thierry Mandon - Secrétaire d'Etat chargé de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche, auprès de la Ministre de l'Education nationale, de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche

Conférence de Jean-Pierre Bourguignon - Président du Conseil européen de la Recherche

Discours de Michel Cogné - Administrateur de l'IUF

La cérémonie vue par Patrice Brun, lauréat senior 2015

Le jour où je me suis réveillé excellent

Patrice Brun, membre senior de l’IUF (promotion 2015)

Si haut que l’on soit placé, on n’est jamais assis que sur son cul. Montaigne

 

Le 1er mai dernier au matin, je reçus un SMS d’un collègue avec ce simple mot «Félicitations !» suivi d’un autre message dans les minutes qui suivirent, tout aussi lapidaire : « Bravo ! ». Intrigué, je répondis un « Bravo ? Mais pourquoi et pour quoi, bravo ? », qui me valut trente secondes après un « Mais pour l’IUF ! ». Stupéfaction de ma part. « Senior » certes, mais pas gâteux au point d’avoir oublié que j’avais déposé un dossier à l’automne précédent, j’ignorais tout néanmoins de la chronologie de l’étude des dossiers et, assez peu certain de l’issue du processus pour ce qui me concernait, je n’y pensais pas trop.

 

Une fois vérifiée l’information sur le Bulletin Officiel qui venait de paraître –j’avais un doute sur le « Patrice Brun » ainsi honoré car il existe un homonyme à Paris 1 très connu et remarquable spécialiste de proto-histoire de la Gaule celtique – je devenais donc « excellent » selon la terminologie que Valérie Pécresse, en son temps, avait utilisé et usé jusqu’à la corde à propos de tout ce qui se faisait dans les universités. Mais j’avais le temps d’intégrer cette idée puisque ce n’était qu’au 1er octobre que j’entrerai officiellement dans le cercle très fermé des membres de l’IUF. J’eus donc tout le loisir de m’interroger sur quelques points et notamment sur deux d’entre eux : pourquoi avais-je déposé un tel dossier ? Et, étais-je véritablement excellent ?

 

Ma propre excellence en question

 

La réponse à la première question n’est pas très simple. Ou plutôt, elle est multiple. Sans doute étaisje attiré par les avantages matériels que procure cette noble institution : 64 heures équivalents TD au lieu de 192, crédits de recherche de 15.000 euros annuels et, ne l’oublions pas, une PEDR de 6.000 euros pour les « juniors », de 10.000 euros pour les « seniors ». L’étais-je par la reconnaissance de cette excellence tant vantée ? Je pense que non, mais il faudrait interroger mon inconscient, car le besoin de reconnaissance, on le sait, fait intrinsèquement partie de la condition de l’universitaire. A cet égard, l’IUF joue, au moins dans nos disciplines, un rôle proche de celui d’un passage à FranceCulture ou à la télévision, d’une critique favorable d’un livre. Ecrira-t-on un jour une thèse sur l’ego des enseignants-chercheurs ? Y a de la matière…

 

Peut-être ai-je été plus encore motivé par l’intégration à l’IUF de certains de mes collègues de ma spécialité que, peut-être plus critique d’ailleurs qu’il ne convenait, je jugeais assez peu représentatifs de l’image que je me faisais de l’excellence. Pourquoi pas moi, dans ces conditions ? Avantages matériels, conscience ou inconscience de sa propre valeur, jalousies… l’alchimie est complexe qui amène un enseignant-chercheur à déposer un dossier. Et si l’idée de progresser dans sa recherche faisait, finalement, partie du panier ?

 

Je reçus assez vite de l’IUF la confirmation de ma nomination et une date à entourer du rouge le plus vif : lundi 19 octobre, cérémonie officielle. Plus tard, j’appris que cette cérémonie aurait lieu dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne en présence du nouveau Secrétaire d’État à l’Enseignement Supérieur, Thierry Mandon. Bref, un bel écrin et du beau linge, comme on dit vulgairement.

 

En attendant le jour J, les courriels de félicitations se succèdent et l’on fait plus ou moins le compte de ceux qui sont visiblement contents de ce succès et du silence des autres. Ainsi, je pus constater qu’une seule de mes anciens collègues membres de mon équipe politique du temps où j’étais président de mon université m’adressa un salut amical. Les autres ? J’ai disparu des écrans radars. Mais, bon, cela fait bien longtemps, au moins depuis Rutebeuf, que l’on sait qu’il existe des amis que vent emporte…

 

Et puis, on n’y pense plus trop. N’ayant jamais eu de moi l’image d’un intellectuel très au-dessus des autres ni de la mêlée (la mêlée, c’était plutôt mon truc, quand j’étais plus jeune), les petits soucis quotidiens prennent le dessus : correction des copies, réunions de bilan d’année, touche finale sur deux articles, colloque à Paris occupent bien la fin de l’année universitaire. Ce n’est qu’au début du mois de juillet, lorsque l’on se réunit pour se répartir les services de l’année prochaine que la réalité prend corps : 64 heures au lieu de 192 ! Tout le service fait au premier semestre ! Et tout cela pour cinq ans !

 

Le 19 octobre…

 

Quelques jours avant la cérémonie d’accueil des nouveaux membres, l’une d’entre nous proposa que nous écrivions de concert un texte qui pourrait être lu le jour de la cérémonie avec l’aval des « autorités ». Durant 48 heures, le texte tourna et l’on finit par se mettre d’accord sur un texte à la fois revendicatif et équilibré, qui évitait toute schizophrénie. Il fallait éviter en effet toute attaque directe contre les nouveaux modes de financement de la recherche, ANR ou Labex – qui ne mentionnerait pas l’IUF, pourtant fort décrié dans certaines sphères syndicales comme participant d'une individualisation d'une recherche par essence collective. Ce texte, joint ici, qui, sans aucun lamento, sans agressivité, insistait sur le fait qu’il fallait prendre en compte les nouvelles charges incombant à l’enseignement supérieur – et notamment les dizaines de milliers de nouveaux étudiants - ne recueillit pourtant que la signature de moins de la moitié des nouveaux membres de l’IUF. Certains de nos collègues non signataires devaient déjà être dans leur bulle IUFesque ou trop certains de leur propre excellence pour mêler leur voix aux défenseurs des manants… Nous avons cependant été rejoints par d’autres membres de l’IUF de promotions antérieures.

 

Le 19 octobre au matin, bien sages, bien rangés le long du trottoir de la Sorbonne côté rue des Écoles comme des enfants de CM1 des années 50 dans l’attente du coup de sifflet du maître, flanqués de nos « invités » - trois sont autorisés - nous restons devant les portes fermées dans la perspective imminente de l’ouverture. Personne ou presque ne se parle car personne ou presque ne se connaît. La perspective pour un(e) Maître de Conférences de Sociologie, par exemple, de faire la rencontre d’un PUPH spécialiste d’immunologie est en effet des plus réduites… Un gardien en grande tenue de vigile de la Sorbonne, bleue avec broderies en argent, ouvre le Saint des Saints, défendu, Plan Vigipirate oblige, comme Fort Knox. C’est à des détails comme ceux-là que l’on devine la différence entre le provincial avec accent occidentalo-méridional que je suis et la high society sorbonnarde.

 

Pour qui n’est jamais entré à l’intérieur de la Sorbonne par le 47 de la rue des Écoles, le choc est rude. J’avais eu, dans un passé administratif, l’occasion de le faire et ne fus donc guère surpris. Mais la première fois, c’est autre chose ! Vaste hall, colonnade de marbre, grille en fer forgé annonçant l’entrée dans le « Grand Amphithéâtre », on sent bien que l’on n’est pas chez les bouseux ! Puis, comme dans un théâtre, un vaste couloir déambulatoire semi circulaire pour accéder à ce qui est plus une salle de spectacle qu’un amphithéâtre. Aucune table pour écrire, mais des sièges en velours fatigué pour écouter et admirer les plafonds, la peinture murale de Puvis de Chavannes « le Bois Sacré », allégorie de toutes les sciences telles que la fin du XIXe siècle les imaginait. J’apprécie avec un petit sourire vaguement narquois l’allégorie de l’Histoire interrogeant avec gravité une pierre… En regardant cette fresque symbolique un brin décalée dans notre siècle, je pense aux Tontons Flingueurs, que je connais pour ainsi dire par cœur, lorsque Antoine Delafoy (Claude Rich) décrit à l’oncle Fernand (Lino Ventura) son honorable paternel, le président Delafoy, avec une phrase du genre (je cite de mémoire) : « il a toutes les décorations ! Sauf la médaille de sauvetage. Et il a pour l’art des perversions voisines des vôtres, oncle Fernand. Défenseur de Puvis de Chavannes ! ». Bon, c’est quand même pas avec de telles références que je vais passer pour excellent et moins encore pour un intellectuel, moi qui pourtant navigue dans le monde des études classiques…

 

Cela dit, et pour revenir à de plus sérieuses choses, deux cents personnes environ pour un Zénith de mille places, y a comme un vide. Mais la qualité, dit-on, ne remplace-t-elle pas avantageusement la quantité ?

 

9 h 15 : Avec le petit quart d’heure académique de retard, la cérémonie débute par un bref discours de bienvenue de Michel Cogné, Administrateur de l’IUF. De ses paroles, plus sobres qu’on ne pouvait le craindre, on retiendra que l’IUF serait vue par les autorités comme une distinction, certes, mais aussi comme une facilitatrice des talents. Et que les membres sont fortement invités à concourir à des appels d’offre plus élitistes encore, au travers de l’ERC. Pour ceux qui croyaient pouvoir doucettement profiter de leur nouveau statut, le retour sur terre est rude. Mais combien parmi nous écouteront ce discours ?

 

9 h 20 : Notre collègue Maître de Conférences à Paris 9 Dauphine, Sophie Bernard, qui avait pris l’initiative d’un texte, prend la parole, avec le blanc-seing et du ministre et de l’Administrateur. Son ton est grave, mais pas dramatique ; solidaire, sans être schizophrénique. L’équilibre que j’avais lu se retrouve très exactement dans la manière de présenter la situation de l’Université française. Nous, oui, c’est bien. Mais les autres ? Et comment accueille-t-on les dizaines de milliers d’étudiants nouvellement arrivés ? Et ceux qui sont prévus les années suivantes ? Deux ou trois dizaines de partisans de ce texte, comme il a été prévu de le faire, se lèvent en silence pour marquer leur approbation.

 

9 h 30 : Prise de parole du ministre. Pour avoir entendu les trois ministres précédents (Valérie Pécresse, Laurent Wauquiez et Geneviève Fioraso) du temps de « ma » Présidence d’université, je trouve Thierry Mandon plutôt sobre. Les grandes envolées lyriques ad nauseam sur l’excellence ne sont pas sa tasse de thé. Point positif aussi : il ne se gargarise pas d’un budget de l’enseignement supérieur et n’en fait pas une apologie qui ne serait peut-être pas très bien reçue. On sent qu’il est là pour nous, pas pour lui et c’est appréciable. Il dit à Sophie Bernard qu’il comprend les difficultés de tous ces appels d’offre mais, comme nous y avons répondu par le biais du dépôt de notre dossier, il nous est délicat de trop les critiquer ! Après les félicitations collectives d’usage, il regrette le manque de parité criant chez les membres seniors (7 femmes sur 40 nominations !) mais refuse catégoriquement l’idée de quotas, préférant insister sur la quasi-parité chez les juniors. On se console comme on peut. Il fournit également des chiffres : 70 dossiers ont été retenus chez les juniors sur 283 déposés, 40 chez les seniors sur 227. Les deux domaines principaux (SHS et sciences dites dures) ont été traités à égalité. Au total, un discours bien calibré, attendu, ennuyeux juste ce qu’il faut, mais au final plutôt bien apprécié si j’en crois ce que j’ai entendu ensuite.

 

9 h 45 : Discours de Jean-Pierre Bourguignon, directeur de l’ERC. Il brosse de l’enseignement supérieur en Europe un tableau peu réjouissant. En Espagne, un universitaire sur deux partant à la retraite n’est pas remplacé. En Finlande, la baisse du budget de l’enseignement supérieur a atteint 10%. Les pays les plus touchés, Espagne, Irlande, Portugal, Grèce, ont vu docteurs et universitaires partir en masse pour l’Amérique latine, les Etats-Unis, l’Australie. On ne parle pas de la France… Sans doute serait-ce déplacé en présence du ministre. Il regrette aussi que les projets de recherche sont d’autant mieux financés qu’ils sont liés à la recherche appliquée : c’est que la recherche fondamentale, qui n’offre guère de retombées immédiates, se vend mal auprès des électeurscontribuables de tous les pays. On sait un peu tout ça et la morosité sinon l’affliction gagnent les rangs clairsemés de ce lieu prestigieux. Y a-t-il un médecin dans la salle ? Oui, nous dit-il : il s’appelle ERC. Tiens, voilà la deuxième couche ! Remarquez, c’est assez normal qu’il prêche pour sa paroisse. Ce que l’on retiendra : c’est moins la qualité du pool des déposants que celle du projet, qui peut être atypique, qui sera retenue. J’enregistre…

 

11 h : Après une pause, tous les candidats sont rapidement présentés. On se lève lorsque notre binette apparaît sur l’écran cependant que deux ou trois phrases sur notre projet de recherche sont prononcées. C’est là, en fait, que l’on voit l’étendue des disciplines représentées. Tout le CNU en quarante minutes ! Et l’on se demande à part soi : « mais comment ont-ils fait pour départager mon dossier de celui d’un Professeur des Universités Praticien Hospitalier spécialiste de cancérologie » ? Je me pose un peu plus encore la même question lancinante : « mais pourquoi suis-je là » ? N’ayant pas la certitude absolue que je suis vraiment meilleur qu’un autre, je m’interroge…

 

11h40 : Nouveau discours de Michel Cogné, administrateur de l’IUF. On n’est plus dans la célébration ni dans la bienvenue, mais plus éclairant, sur le mode de sélection. Les jurys et les présidents des deux jurys nous sont présentés. Pour moitié, le jury est d’origine étrangère et très peu de dossiers ont été jugés « pas au niveau », ce qui signifie qu’une forte autocensure a joué. Les critères de sélection, outre – on le suppose et on l’espère - les publications et autres données de recherche, sont pour les juniors en priorité « l’indépendance scientifique » qui se dégage du projet de recherche. Pour les seniors, qui ont tous une bibliographie longue comme un jour sans pain, pour qui l’on juge davantage une carrière, est privilégiée la capacité d’entraînement d’une équipe. Si j’ai tout compris, candidats isolés dans leur bureau s’abstenir.

 

Des chiffres précis nous sont donnés : 39 juniors sont issus des sciences « dures », 31 des SHS. Parmi eux, 29 femmes, 41 hommes. La parité est moins exacte qu’il n’était dit précédemment mais Michel Cogné insiste sur la progression : 22 femmes il y a cinq ans, 29 aujourd’hui. Pour les seniors, parité exacte… dans le match sciences dures / SHS : 20 à 20, ballon au centre. Mais pour ce qui est de la proportion masculin/féminin on repassera : 33 à 7. Quasiment un match All Blacks-France à la mitemps !

 

Le discours se termine par des encouragements plus que par des félicitations et une invitation à un cocktail convivial, avant la reprise des travaux à 13 heures pour les seuls membres. Exeunt les invités ! Extra omnes !, comme on dirait au Vatican ! Cassez-vous !, comme on dirait chez moi !

 

Rendez-vous dans cinq ans ?

 

Pour finir, et comme il faut toujours être sérieux sans se prendre soi-même trop au sérieux, je rappelle la définition que je donnais de l’IUF dans le « glossaire » d’un livre de mémoires sur mon expérience de président d’université :

IUF : Institut Universitaire de France. Graal absolu de l’enseignant-chercheur s’il ne veut pas devenir Président d’université, bien sûr. Prime non négligeable, facilité de financement de sa recherche, diminution aux deux tiers de sa charge d’enseignement, jalousie de ses collègues et admiration de ses élèves, tels sont les avantages pour qui en devient membre. On y entre sur dossier et la décision est prise par un ensemble d’experts – universitaires - dont personne ne connaît la composition. Inutile de préciser que d’éventuels copinages ne sauraient entrer en compte pour pousser tel ou tel candidat, l’institution étant très au-dessus de ces bassesses.

 

Écrirais-je la même chose aujourd’hui ? A chacun d’apporter sa réponse ! Un nom seul de tous les « experts » dont les noms furent publiés par la suite m’était connu et ce n’était pas un proche, bien loin de là. La seule chose dont je suis sûr, c’est l’expression « admiration de ses élèves ». Ils ne le savent pas et s’en moqueraient s’ils en avaient connaissance. Et d’ailleurs, en dehors de notre petit monde universitaire, qui connaît l’IUF ? La confusion point chez certains avec les pourtant défunts IUFM.

 

Je ne vais pas le nier : je suis plutôt heureux d’intégrer cette auguste assemblée. J’ai déjà prévu de mettre tous les crédits de recherche au service de l’équipe à laquelle j’appartiens et durant cinq ans, nous ne devrions pas avoir trop de problèmes de ce côté-là. Voilà. C’est parti jusqu’en 2020. Serai-je plus productif, meilleur qu’avant ? Ce serait dramatique si ce n’était pas le cas.

 

IUF : se réveiller excellent ! - Histoires d'universités